CHAPITRE 6

Je ne sais pas ce qui me prit à ce moment-là. Alors que j’étais terrorisé, épouvanté, quelque chose se passa brusquement dans ma tête. Il me devint impossible de rester caché, à assister à la scène sans réagir.

— Espèce de brute…

Je me levai d’un bond, ramassai un bout de tuyau rouillé et commençai à escalader le muret.

Il faut croire que j’étais devenu fou. Il s’agissait forcément de folie, parce que je n’avais pas l’ombre d’une chance d’arriver à faire quoi que ce soit tout seul, armé seulement d’un bout de tuyau.

< Non ! >

Le cri silencieux de l’Andalite me fit hésiter.

Je sentis les mains de Marco empoigner ma chemise et me tirer en arrière. Tobias et Rachel me maintinrent au sol. Rachel me plaqua une main sur la bouche : je m’apprêtais à hurler une injure ou je ne sais quoi.

— Boucle-la, imbécile ! me souffla Marco. Tu vas nous faire massacrer tous les cinq.

— Ne fais pas ça, Jake, insista Cassie en me caressant la joue. Il ne veut pas que tu meures pour lui. Tu ne comprends donc pas ? C’est lui qui meurt pour nous.

Je repoussai rageusement Marco et Rachel, mais je m’étais ressaisi.

Je regardai à nouveau par-dessus le muret. Le prince andalite était paralysé par la prise de Vysserk Trois. Je le vis se balancer en l’air. Je vis Vysserk Trois ouvrir sa gueule monstrueuse.

Je vis l’Andalite tomber dans ce gouffre béant.

La bouche se referma, les dents déchiquetèrent l’Andalite, et le prince Elfangor-Sirinial-Shamtul mourut.

A la dernière seconde, il poussa un cri de désespoir qui retentit dans nos têtes. Il y demeurera à jamais.

Les Hork-Bajirs émirent une sorte de gloussement, whou, whou, whou. Il s’agissait peut-être d’un rire, peut-être d’applaudissements. Les Taxxons se rassemblèrent autour de Vysserk Trois. Ils semblaient se dresser vers lui, et je ne tardai pas à comprendre pourquoi : un morceau de l’Andalite tomba de la gueule de Vysserk, et le Taxxon le plus proche l’avala goulûment.

Tobias se détourna et se couvrit le visage de ses mains. Cassie avait les yeux pleins de larmes. Moi aussi.

J’entendis alors un bruit inattendu parce que parfaitement naturel : des rires. Des rires humains.

Les Humains – des Humains-Contrôleurs, évidemment – riaient comme s’ils assistaient à un spectacle. Pendant un instant, j’eus l’impression que l’une de ces voix joyeuses m’était familière, comme si je l’avais déjà entendue. Mais les rires furent bientôt couverts par les gloussements d’autres Contrôleurs : les Hork-Bajirs.

Vysserk Trois morphosa, abandonnant sa forme monstrueuse pour récupérer lentement son corps d’Andalite.

< Ah, l’entendis-je penser. Rien ne vaut une bonne animorphe d’Ogre d’Antarès pour apprécier… la saveur de ses ennemis. >

A nouveau, les Humains-Contrôleurs éclatèrent de rire et les Hork-Bajirs-Contrôleurs gloussèrent, et j’entendis de nouveau un rire humain qui me parut familier.

Marco se mit à vomir. Compte tenu des circonstances, c’était tout naturel, mais le bruit attira l’attention du plus proche des Hork-Bajirs.

La tête de serpent pivota et s’immobilisa.

Nous ne bougions plus.

L’Hork-Bajir se tourna vers nous. Ses yeux myopes étaient fixés droit sur notre cachette.

Je ne sais pas lequel d’entre nous paniqua le premier. Peut-être moi. Nous devions avoir atteint le point de saturation de la peur et de l’horreur. Ce fut comme si une décharge électrique nous avait traversés. Nous nous sommes mis à courir. Nous avons couru avant même d’avoir compris ce que nous faisions.

Je fonçai. Je haletai.

L’Hork-Bajir rugit.

— Dispersez-vous ! criai-je. Ils ne pourront pas poursuivre tout le monde.

Marco, Tobias et Cassie partirent dans trois directions différentes. Rachel resta à côté de moi. En me retournant, je vis l’Hork-Bajir hésiter, ne sachant qui poursuivre.

Rachel et moi sommes les meilleurs coureurs de la bande, Tobias n’est absolument pas sportif, et Marco et Cassie sont trop petits pour être vraiment rapides. Je me dis donc que si les extraterrestres devaient pourchasser quelqu’un, il valait mieux que ce soit nous.

Rachel dut faire le même raisonnement, car elle ralentit un peu et se mit à crier en faisant de grands gestes.

— Allez, venez, espèces de…

Je n’aurais pas cru qu’elle connaissait ces mots-là.

Les deux Hork-Bajirs les plus proches pivotèrent et se lancèrent à nos trousses.

— Ghafrash ! Par ici ! Ghafrash fit ! Ennemis ! Attraper ! Par ici !

Tout terrorisé que j’étais, je m’étonnai qu’ils utilisent un mélange de leur propre langue extraterrestre et de la nôtre.

— Ghafrash fit nahar ! J’attrape ! Je tue !

Je courais toujours. Soudain, mon pied heurta quelque chose et je tombai. La chute fut si violente qu’elle me vida les poumons. Pendant que j’essayais de reprendre mon souffle, Rachel continua à s’enfuir sans se rendre compte que j’étais tombé.

Un éclair rouge frappa un tuyau de ciment tout près de moi. Le ciment se volatilisa. Les deux Hork-Bajirs nous poursuivaient en bondissant comme des kangourous démoniaques. Je me relevai et repris ma course.

Rachel dut réaliser que je n’étais plus à ses côtés, car elle s’arrêta et fit demi-tour.

— Ne fais pas ça ! lui criai-je. Continue à fuir !

Elle hésita une seconde, mais comprit qu’elle ne pouvait rien pour moi et repartit.

J’aperçus un trou obscur et m’y précipitai.

C’était une porte. Derrière, des ténèbres opaques. Il s’agissait de l’un des bâtiments qui avaient été presque achevés. Rien de plus que des murs de béton et des détritus, mais je me rappelai y être déjà venu. Marco et moi l’avions exploré de fond en comble. Un vrai labyrinthe de salles et de couloirs.

Marco ! Rachel ! Avaient-ils réussi à fuir ? Et Cassie ? Et Tobias ?

J’essayai de réfléchir en traversant en courant la première pièce. Il y avait un couloir… quelque part. Je tâtonnai dans l’obscurité et trouvai un mur.

J’entendis d’énormes pieds griffus gratter le ciment nu. Une bouteille roula sur le sol.

L’Hork-Bajir était tout près ! Et dans le noir absolu, la supériorité de ma vision humaine ne m’était pas d’un grand secours. Seulement, je connaissais l’architecture du bâtiment vide. Disons que j’aurais su m’y diriger si mon cerveau avait fonctionné.

Ma main explora le vide. Une porte ? Oui ! Elle donnait sur un couloir. Je la franchis au moment précis où une lumière s’allumait derrière moi. Quelqu’un avait apporté une lampe-torche.

— Vous dire faut attraper ? Donner ordres.

— Non. Inutile de faire des prisonniers. Tuez tout ce que vous trouverez.

La première voix appartenait à un Hork-Bajir. La seconde était humaine. Et le plus curieux, c’était cette voix qui me semblait familière. J’essayai de réfléchir. J’étais sûr de l’avoir entendue quelque part, mais où, où ?

— Conservez seulement la tête et apportez-la-moi, qu’on puisse l’identifier.

Je me faufilai rapidement le long du mur.

La lumière me suivit à quelques pas de distance.

Je me creusai la cervelle. Est-ce qu’il n’y avait pas un passage… ? Si, là. Je m’y glissai le plus silencieusement possible. La lumière n’était plus qu’à quelques centimètres de moi.

Mon pied heurta quelque chose de mou.

— Hé là !

C’était un homme ! Il dormait par terre, enroulé dans une couverture.

— Du balai ! Ici, c’est ma place, et y a rien à prendre.

Je voulus l’avertir, mais l’un des Hork-Bajirs était là !

La torche éclaira le visage du vagabond, qui battit des paupières comme une chouette.

Il y avait un renfoncement juste derrière moi. J’y entrai à reculons.

Le vagabond poussa un cri. J’entendis un bruit de lutte. Peut-être cet homme parvint-il à s’enfuir. Je l’espère, mais je ne l’ai jamais su, parce que je profitai de cette diversion pour m’échapper.

Et je courus, courus, courus. Et, en courant, j’espérais sincèrement que tout cela n’était qu’un rêve.

 

L'invasion
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